IMAGINAIRE DES VOLCANS DANS L’ANTIQUITE - 8

Publié le par latin-au-lycee-stella

THEORIES SCIENTIFIQUES OU IMAGINAIRE RATIONNEL

 

Cette dernière partie sur l’imaginaire des volcans sera consacrée aux théories antiques qui tentaient d’expliquer de manière rationnelle les séismes et éruptions. On remarquera que, bien que les philosophes et scientifiques évacuent légendes et mythologie, ils créent des explications qui nous apparaissent aujourd’hui comme des fictions erronées.

 

Aristote développe une théorie des souffles en guise de théorie de l’énergie. Le souffle, force vitale, est partout dans le cosmos, y compris dans les corps et la terre : « Il faut se représenter ce qui se passe ainsi qu'à l'image des frissons et des pulsations qui se produisent dans notre organisme et qui ont pour cause la puissance du souffle enfermé dans notre corps : le souffle qui se trouve dans la terre a des effets du même genre ; un tremblement de terre ressemble à un frisson, un autre à une pulsation, et ce qui se passe est comparable à ce qui se produit souvent après l'émission d'urine (le corps est parcouru par une espèce de frisson, qui tient à ce que le souffle extérieur pénètre en masse à l'intérieur) : c'est la même chose pour la terre. »

On voit ici une exploitation des théories médicales du corpus hippocratique. Aristote parvient ainsi à expliquer les grondements de la terre et les éruptions par la présence de l’air sous la terre : « Lorsque le souffle est trop faible (…) pour ébranler le sol, sa grande facilité de pénétration le rend incapable de faire trembler la terre, mais du fait qu'il tombe sur des matières solides et creuses, aux configurations variées, il émet toutes sortes de sons, si bien que parfois la terre, au dire des conteurs de récits merveilleux, a l'air de mugir. » « C'est, par exemple, ce qui s'est passé [...] quelque temps auparavant dans l'île d'Hiéra qui est l'une des îles qu'on appelle Eoliennes : en cet endroit, une partie du sol s'est gonflée et une masse ressemblant à une buttes'est soulevée avec fracas ; finalement, cette boursouflure explosa et un grand souffle en sortit qui projeta des flammèches et des cendres. Celles-ci ensevelirent toute la ville de Lipara qui se trouve non loin de là, et s'étendirent jusqu'à certaines villes d'Italie. »

 

 

  botticelli

 

 

Sénèque dans les Naturales Quastiones reprend plusieurs théories expliquant séismes et éruptions. Elles sont toutes liées à l’idée fondatrice que tout s’explique dans le cosmos par l’action des éléments fondamentaux : eau, air, feu, terre.

Certains imaginent un feu souterrain créé par la rencontre entre des éléments inflammables et l’air circulant sous la terre : « D'autre part il est manifeste qu'il y a sous terre une grande quantité de soufre et d'autres objets qui ne nourrissent pas moins le feu. À travers ces endroits, quand, dans sa recherche d'une sortie, le souffle s'est roulé, il est nécessaire qu'il allume une flamme par son propre frottement, puis, une fois les flammes bien largement répandues, que même ce qu'il y avait d'air stagnant, raréfié, se mette en mouvement et recherche un passage avec un vaste grondement et un vaste élan. » L’air et le feu cherchent violemment une issue hors de la terre : « C'est le feu la cause du tremblement, à ce qu'en jugent certains, et qui plus est des auteurs notables, en particulier Anaxagore, qui estime que c'est presque pour une cause semblable que l'air d'un côté, la terre de l'autre sont ébranlés. Lorsque dans la région souterraine le souffle a brisé l'air épais et rassemblé en nuages, avec la même violence qu'auprès de nous aussi les nuages sont déchirés, et qu'un feu a jailli de ce choc de nuages et de ce flot d'air chassé, ce feu lui-même se rue sur ce qu'il rencontre, dans sa recherche d'une sortie, et arrache ce qui lui résiste, jusqu'à ce que par un passage étroit ou bien il trouve un chemin pour sortir jusqu'au ciel ou bien pat la force et par la violence » Le feu transforme l’eau prisonnière de la terre en vapeur. Avec la pression cette vapeur fait exploser la terre. « Certains assignent bien aux feux cet ébranlement, mais autrement. Car, ceux-ci chauffant un grand nombre d'endroits, il est nécessaire qu'ils roulent une vapeur immense privée d'issue, qui, par sa force, met l'air sous pression et, si elle acquiert assez d'énergie, elle fend ce qui se trouve contre elle ; au contraire, si elle est assez modérée, elle ne fait rien de plus que de le mettre en mouvement. Nous voyons que l'eau écume placée au-dessus d'un feu ; or, ce que celui-ci fait dans le cas d'une eau limitée et restreinte, croyons qu'il le fait bien davantage, quand il est violent et vaste à pousser des eaux immenses. » Ou ce feu dévore la terre et provoque des écroulements : « D'autres jugent que la cause est bien dans le feu, mais pas pour cette raison, mais parce qu'il brûle englouti dans un grand nombre d'endroits et consomme ce qui est le plus proche de lui ; et ces objets, toutes les fois qu'ils sont rongés au point de tomber, alors s'ensuit un tremblement des régions qui sont privées des étais qui les soutenaient si bien qu'elles fléchissent, jusqu'à s'écrouler, sans que rien se présente qui reçoivent leur fardeau ; alors de vastes abysses, de vastes gouffres s'ouvrent ou bien, quand elles ont longtemps chancelé, elles se posent sur ce qui subsiste et qui tient. Ceci, nous le voyons aussi arriver près de nous, toutes les fois qu'une région d'une cité est victime d’un incendie ; quand les poutres se sont consumées ou que sont ravagées les parties qui donnaient un appui aux étages supérieurs, alors, après avoir longtemps vacillé, les sommets s’effondrent. »

 

 

le monde souterrain

 

 

Sénèque rappelle les hypothèses d’Epicure. « Toutes ces causes peuvent exister, dit Épicure, il en propose encore un grand nombre, et il reprend ceux qui ont affirmé qu'existait quelque objet unique parmi ceux-ci, étant difficile de promettre, sur des objets qu'on ne peut atteindre que par raisonnement, d'obtenir quelque chose de certain. Donc, à ce qu'il dit, l'eau peut mettre en mouvement la terre, si elle charrie et érode quelques régions, qui cessent de pouvoir soutenir affaiblies ce qu'elles portaient intactes. L'impulsion de l'air peut mettre en mouvement la terre ; peut-être en effet l'air est-il mû par un autre air qui entre de l'extérieur, peut-être, à la chute soudaine de quelque région, est-il secoué et tire-t-il de là un tremblement. Peut-être quelque région de la terre est-elle soutenue comme par certaines colonnes ou piliers, à cause de la défaillance et du retrait desquels tremble le poids qui est placé au-dessus. Peut-être la quantité de chaleur du souffle, transmutée en feu et semblable à la foudre, s'élance-t-elle au grand ravage des objets qui se trouvent en face. Peut-être quelque courant d'air frappe-t-il des eaux marécageuses et immobiles et de là ou bien le coup agite-t-il la terre ou le mouvement du souffle, croissant par son propre mouvement et s'excitant lui-même, s'élance-t-il du fond jusqu'à la surface. Aucune cause, cependant, ne lui paraît plus importante pour le tremblement que le souffle. »

 

On conclura cette partie en soulignant le fait que ces explications rationnelles prennent souvent appui sur l’idée d’un souffle ébranlant la terre. Cela n’est pas sans nous rappeler finalement l’être mythologique évoqué au début de notre article : Typhon, être de feu dans les légendes antiques, mais aussi phénomène lié à l’air pour nous autres modernes.

 

350px-Wenceslas Hollar - The Greek gods. Tryphon

 

La source majeure utilisée pour ces articles est Connaissance et représentation des volcans dans l’Antiquité, actes du colloque de Clermont-Ferrand, textes réunis par E. Foulon, 2002. Le livre est disponible au CDI.

Publié dans Autour des volcans

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